SATAN ET L'HOMME
Texte publié en septembre 2008 par La Revue des Ressources
Les premières images de la mort sont semblables à de vieilles photographies jaunies. Des taches un peu graisseuses encombrent la vision et floutent la carte aux entournures. Une cabine téléphonique laisse tourner le message central : Je le déclare, vous êtes des dieux, vous vivrez comme des princes ; pourtant vous mourrez comme des porcs, je vous shooterais comme des chiens. C’est à vomir de mauvais goût : leur bric-à-brac est d’un rococo déplacé et il fait froid. Les sempiternelles portes du rêve, ivoire beige et corne bleue, joignent leurs routes au bout qu’un quart d’heure. Dans une brocante du passage, négligemment déposés dans une corbeille à fruits, de vieux messieurs examinent des divergences de moustaches. Un perroquet répète ses noms et adresse à tue-tête. Le marchand des quatre saisons fait crisser les archets voisins. Les talons d’une midinette résonnent comme la montre « en suspens » du jugement.
C’est maintenant que le petit chevalier se relève. Il a encore son heaume aux rivets spiralés et son écu armorié aux photons qui frétillent. Un clavecin le remonte comme un ami. Quelques phrases lui reviennent, gravées dans la poterie romaine étrusque de son plus jeune âge : « J’ai vu l’avenir » ; « Je ne suis pas dans l’amour » ; «L’humanité est un territoire de chasse » ; etc.
Ses quatre frères sont comme lui : ils sont morts « avant baptême » et s’apprêtent à couler leur deuxième vie dans les limbes. Ils n’ont pas lésiné sur le style : nœuds papillons, chemises à jabots, hauts de forme sinistres… Mais l’enfant ne se résigne pas à cet énième grillheure et brandit son épée, taillée dans des pelures de la cabale, alors qu’il s’enfonce dans le couloir aux mille et une nuances grisâtres qui le sépare des Terres Objectives.
Enfin, le chien en peluche apparaît. La gueule ouverte, bavant une bave rageuse, il est moche à pleurer. Face à lui, le petit chevalier est droit dans ses bottes, pointu comme un cri de chanteuse lyrique. Il observe le reflet de son heaume dans le grand œil crevé et prononce son nom secret : la distance irréductible, la proportion exacte entre son désir et la réalité. Je ne suis pas qui je voudrais être, dit-il en brandissant l’épée : néanmoins, je le suis. Je n’ai pas choisi la vie qu’on m’a donné, mais elle m’a été donné. C’est le vrai diable ; et il sonne comme un couac de saxophone sur un shuffle plein d’échos. Le chien en peluche explose dans une nuée de mousse et de coton. Seul son nom résiste et s’incruste à la vitesse de l’aigle dans l’épée alors que l’enfant passe au niveau deux. La routine, disent les anges, blasés.
Texte : Pacôme Thiellement
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