2007/12/27

FOREVER SCHREBER

Choix de pensées du Président Schreber
pour accompagner l'année nouvelle




Le Meurtre d’âme comme téléhypnose forcée
Nul doute pour moi que le primus movens de ce qui a toujours été considéré par mes médecins comme de banales « hallucinations », et qui en revanche a pour moi la signification d’une relation avec des forces surnaturelles, consistât en une commande exercée par votre système nerveux sur mon système nerveux. Comment expliquer la chose ? Je suis tenté d’envisager la possibilité suivante : n’auriez-vous pu, vous, en personne, entretenir avec mes nerfs – et au début, je veux bien le croire, dans un but thérapeutique – une relation d’ordre hypnotique, suggestive ou autre, et cela, aussi bien, en dépit de la distance qui nous séparait ? (…) Oui, la question se poserait de savoir peut-être même si tous ces ragots de voix d’après lesquels certaine personne aurait commis le meurtre d’âme, n’en reviennent pas tout simplement à ceci : le fait d’exercer une emprise sur le système nerveux de quelqu’un que l’on tient dans une certaine mesure prisonnier de sa volonté – comme cela se produit dans l’hypnose – a pu apparaître aux âmes comme quelque chose de si inadmissible qu’On se serait servi, pour stigmatiser aussi fortement que possible cette intolérable pratique – et suivant une propension tout à fait caractéristique des âmes à s’exprimer par hyperbole – de l’expression « meurtre d’âme », faute de disposer d’un terme courant plus approprié. (Lettre ouverte, X, XI)


Le Meurtre d’âme à travers les siècles
Je peux admettre que la croyance populaire selon laquelle les feux follets sont des âmes défuntes correspond dans bien des cas, sinon dans tous, à la réalité ; je pourrais parler des « horloges errantes », c’est-à-dire des âmes d’hérétiques défunts, dont il était dit qu’elles avaient été conservées pendant des siècles sous des cloches de verre dans des couvents du Moyen-Âge (à cela aussi, quelque chose comme un meurtre d’âme avait dû être mêlé) et qui manifestaient qu’elles vivaient encore, par une vibration accompagnée d’un bourdonnement funèbre infiniment monotone (j’en ai expérimenté l’impression moi-même par la voie des branchements de raccordements de nerfs), etc. (VII, 97)


Quand Jésus-Christ revint d'entre les morts, c'était un 6-4-2
D’autre part, me fondant sur ce que j’ai personnellement expérimenté, je suis à même de donner une explication plus précise de quelques articles de la foi chrétienne : sur la façon dont de telles choses peuvent advenir par voie de miracles divins. Quelque chose d’analogue à la conception de Jésus-Christ par une vierge immaculée, c’est-à-dire par une vierge qui n’a jamais couché avec un homme s’est produit dans mon propre corps. A deux reprises différentes déjà (cela au temps où je séjournais encore à la clinique de Flechsig), j’ai possédé des organes génitaux féminins quoique imparfaitement développés, et j’ai ressentis dans le corps des tressautements comme ceux qui correspondent aux premières manifestations vitales de l’embryon humain : des nerfs de Dieu correspondant à la semence masculine avaient été projetés dans mon corps par un miracle divin : une fécondation s’était ainsi produite. Par la suite, j’ai acquis une idée assez claire des modalités par lesquelles a pu s’accomplir la résurrection de Jésus-Christ ; les derniers temps de mon séjour à la clinique de Flechsig et au début de mon actuel séjour, ce n’est pas seulement une unique fois, mais des centaines de fois, que j’ai pu voir des formes humaines dépêchées là pour un temps bref par voie de miracles divins pour se dissoudre à nouveau ou disparaître – les voix qui me parlaient dans la tête désignaient ces apparitions sous le nom d’ « hommes bâclés à la 6-4-2 » ; parfois même il s’agissait de gens qui étaient morts depuis longtemps, comme par exemple le docteur Rudolf J. que j’avais vu à Coswig, à la clinique du docteur Pierson ; mais il y en avait d’autres également qui, apparemment, en étaient passés par une transmigration d’âmes, le procureur général B. par exemple, les docteurs N. et W., conseiller au tribunal de province supérieur, le docteur W., conseiller privé, l’avoué W., mon beau-père et encore d’autres : tous paraissaient vivre en quelque sorte une existence onirique, c’est-à-dire qu’ils donnaient l’impression de ne pas être en état de soutenir une conversation sensée ; d’ailleurs, moi-même je n’étais pas enclin à leur parler, pour la raison essentielle que je croyais avoir affaire non à des personnes réelles mais seulement à des fantoches miraculeux. Sur les bases de ce que j’ai vécu là, j’incline à croire que Jésus-Christ lui-même, qui en tant qu’homme véritable mourut d’une mort véritable, revint ensuite pour un temps bref, « fait » par un miracle divin « homme bâclé à la six-quatre-deux », afin de conforter la foi de ses partisans et de ménager des assises sûres à l’idée d’immortalité parmi les hommes ; mais il subit ensuite la dissolution propre aux « hommes bâclés à la six-quatre-deux », ce qui n’exclut nullement, comme il apparaîtra à l’évidence de remarques ultérieures, que ses nerfs eussent accédé à la béatitude.


Rôle des 6-4-2
Le maintien en vie du Juif errant, et les soins apportés à la satisfaction des exigences de ses besoins vitaux, étaient assurés par des « images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » (…) Ceci semble avoir été l’intention majeure, réglée sur l’ordre de l’univers, de l’institution des « images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » ; je ne saurais véritablement dire si cette institution avait aussi pour but de permettre aux âmes d’accomplir les prestations laborieuses à elles infligées pour leur purification, et qu’elles doivent accomplir sous la forme humaine justement ce qui leur est ainsi échue ; quoi qu’il en soit, les « images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » n’étaient pas là uniquement dans le but d’une simple partie de miracles jouées contre moi – ce en quoi tout cela n’en a pas moins fini par dégénérer aux derniers temps de mon séjour chez Flechsig, pendant mon séjour chez Pierson, et également lors des premiers temps de mon séjour dans le présent asile. (55)


Le Raccordement de nerfs sur les poètes
Dieu avait également la possibilité de se mettre en liaison avec des humains extrêmement doués (poètes, etc.), de « brancher un raccordement de nerfs sur ces gens » (ce sont les termes mêmes utilisés par les voix qui me parlent du dedans, pour désigner ce processus) afin de les gratifier (notamment en rêve) de quelque pensée ou de certaines idées fécondes sur l’au-delà. Mais il ne convenait pas qu’un tel « raccordement nerveux » soit la règle car pour des raisons qui ne peuvent être élucidées plus avant, les nerfs de personnes vivantes, surtout en état d’hyperesthésie, ont un tel pouvoir d’attraction sur les nerfs divins, que Dieu ne pourrait se libérer d’elle et se sentirait par conséquent menacé dans son existence même. (11)


Attirance des nerfs féminins
Pour ce qui est des tentatives d’éviration, on ne fut pas long à s’apercevoir que l’accumulation progressive dans mon corps de nerfs (féminins) de volupté avait un effet tout à fait inverse de celui attendu, à savoir que la volupté d’âme qui en résultait dans mon corps tout au contraire, augmentait ma force d’attraction. C’est pourquoi à cette époque on me mettait très souvent des « scorpions » dans la tête, minuscules organismes ressemblant à des crabes ou à des araignées, chargés d’y accomplir quelque travail dévastateur. (VII, 94)


Dieu et les cadavres
Dieu pouvait approcher sans risque pour lui les cadavres, pour extraire et, grâce au pouvoir des rayons, attirer leurs nerfs où, loin d’être anéantie, la conscience de soi était seulement en sommeil, et pour les éveiller à une nouvelle et céleste vie ; la conscience de soi revenait à elle sous l’action des rayons. (12)


La Langue de Dieu
Les âmes à purifier apprenaient pendant la purification la langue que parle Dieu lui-même, je veux dire la « langue de fond », sorte d’allemand quelque peu archaïque, mais pourtant toujours plein de vigueur, qui se signalait notamment par sa grande richesse en euphémismes (ainsi, par exemple, à l’inverse du sens : récompense pour châtiment ; poison pour nourriture ; jus pour poison ; impie pour saint, etc.) (14)


Dieu parle allemand
La proposition qu’on a énoncée ci-dessus comme quoi Dieu, sous la forme de la « langue de fond » se servait de la langue allemande, ne doit naturellement pas s’entendre comme si la béatitude n’était promise qu’aux seuls Allemands. Néanmoins les Allemands ont, aux temps modernes (sans doute depuis la Réforme mais probablement aussi depuis les grandes invasions), été peuplé élu de Dieu, et de leur langue Dieu se servait par prédilection. Le peuple élu de Dieu, en ce sens, cela a été successivement dans l’Histoire – en tant que ces peuples étaient toujours les plus vertueux – les anciens Juifs, les anciens Perses (ceux-ci dans une mesure tout à fait prééminente, nous le préciserons plus tard), les « Gréco-Romains » (à l’époque de l’Antiquité gréco-romaine sans doute, mais peut-être aussi à l’époque des Croisades, en tant que Francs), et enfin les Allemands. Pour Dieu, étaient d’emblée compréhensibles, grâce au raccordement de nerfs, les langues de tous les anciens peuples. (15)


La Bipartition divine
Les Royaumes divins postérieurs étaient (et sont encore) soumis à une bipartition singulière, en suite de quoi on pouvait distinguer un Dieu inférieur (Ahriman) et un Dieu supérieur (Ormuzd). Je ne puis rien exprimer de plus précis sur la signification de cette bipartition, si ce n’est que le Dieu inférieur paraît s’être senti attiré de préférence vers les peuples originairement bruns (les Sémites), et le Dieu supérieur vers les races primitivement blondes (les peuples aryens). (20)


L'Imperfection divine
Dieu n’est pas, assurément, et n’a jamais été l’être d’absolue perfection que la plupart des religions reconnaissent en lui. La force d’attraction, cette loi impénétrable dans son essence la plus intime, impénétrable même pour moi et en vertu de laquelle rayons et nerfs sont attirés les uns par les autres, recèle en germe une menace pour le règne de Dieu, menace dont une figuration allégorique fournit sans doute déjà la base de la légende germanique du Crépuscule des Dieux. (…) Dès qu’un conflit d’intérêt vient à surgir entre certains êtres humains particuliers ou au sein de groupements (qu’on pense à Sodome et Gomorrhe !), ou vient à secouer la population d’une planète entière (recrudescence du nervosisme et de la corruption), l’instinct de conservation s’éveille en Dieu comme en tout autre être animé.(30)


La Perfection de l’Univers
L’ordre de l’univers témoigne de toute sa grandeur et de tout son sublime en ce que, même dans une situation qui lui est si intrinsèquement contraire, Dieu lui-même est dépourvu de moyens de coercition lorsqu’il poursuit des fins incompatibles avec l’ordre de l’univers. Toutes les tentatives en vue de perpétrer sur moi le meurtre d’âme, ou l’éviration pour des fins qui seraient attentatoires à l’ordre de l’univers (c’est-à-dire pour satisfaire le désir sexuel d’un humain), et toutes celles qui ensuite se sont proposées la destruction de ma raison, ont échoué. (61)


L'Ingérence Nerveuse
Le principe de la contrainte au jeu continu de la pensée consiste en ceci qu’on force quelqu’un à penser sans relâche ; autrement dit, la liberté naturelle de l’homme de pouvoir de temps à autre accorder aux nerfs de son entendement le repos qui leur est nécessaire, en ne pensant à rien (comme cela se passe de la façon la plus caractéristique dans le sommeil), eh bien, cette liberté m’a été, d’entrée de jeu, refusée par les rayons à qui j’ai affaire, insatiablement avides qu’ils sont de savoir constamment à quoi je pense. On me demandait par exemple, tout de go, avec ces mots mêmes : « A quoi donc est-ce que vous pensez là, à l’instant même ? » La question est déjà en soi un non-sens achevé, puisque tout le monde sait que aussi bien à certains moments on peut très bien ne penser à rien, ou penser à mille choses à la fois. Mes nerfs restaient donc inertes devant une pareille question, et très rapidement on fut donc obligé d’avoir recours à tout un système de contrefaçon de la pensée, et par exemple à la susdite question, on allait fabriquer soi-même la réponse : « C’est à l’ordre de l’univers que celui-là devrait » sous-entendu « penser ». (48)


Les Threads cosmiques
C’était en tant qu’âmes qu’ils s’entretenaient avec moi par voie de raccordement nerveux. Beaucoup de ces gens s’intéressaient avant tout à la religion ; il y avait notamment de très nombreux catholiques parmi eux qui espéraient des orientations qu’on avait arrêté de me faire prendre, une extension du catholicisme, en particulier la catholicisation de la Saxe et de Leipzig ; parmi eux, le curé St. De Leipzig, les « quatorze catholiques de Leipzig » (le seul nom cité était celui du consul général D., il s’agissait probablement là d’une association catholique ou de son comité directeur), le père jésuite S. de Dresde, l’archevêque ordinaire de Prague, le chanoine capitulaire Moufang, les cardinaux Rampolla, Galimberti et Casati, le pape lui-même, à la tête d’un singulier « rayon fauve », enfin d’innombrables moines et d’innombrables religieuses ; un beau jour, conduits par un révérend père dont le nom était quelque chose comme Starkiewicz, deux cent quarante moines bénédictins firent irruption dans ma tête, sous leur avatar d’âmes, pour s’y engloutir tous ensemble.(V, 50)


Le Juif Errant
Le Juif errant devait obligatoirement avoir subi l’éviration (avoir été transformé en femme), pour pouvoir mettre au monde des enfants. L’éviration se pratiquait de manière à ce que les organes génitaux (externes) masculines (scrotum et membre viril) se rétractassent à l’intérieur du ventre, et par une déformation concomitante les organes génitaux internes étaient changés en leurs homologues pour le sexe féminin – ce processus s’opérait peut-être lors d’un sommeil plus que séculaire, puisqu’il fallait en effet qu’interviennent de surcroît des modifications du système osseux (bassin, etc.). Il se produisait donc une involution ou une inversion du processus de développement qui prend place chez les fœtus humain lors du quatrième ou du cinquième mois de la grossesse, selon que la nature donne en partage à l’enfant le sexe masculin ou le sexe féminin. (54)


Bienvenue au Village Potemkine
Les rues que nous empruntâmes, notamment la place Auguste que nous traversâmes, me firent une impression remarquablement étrange ; elles étaient, autant que je me souviens, totalement vides de toute présence humaine. Cela tenait peut-être à l’heure très matinale, et à la lumière qui est particulière à cette heure ; le train était sans doute celui de 5h30 du matin. Après avoir vécu au milieu des miracles pendant des mois, j’étais plus ou moins enclin à prendre pour miracle tout ce que je voyais. Je me demandais donc si je ne devais pas tenir les rues de la ville de Leipzig où je passais pour des décors de théâtre, analogues à ceux qui avaient, dit-on, été dressés par le comte Potemkine tout exprès sur le trajet de l’impératrice Catherine II de Russie lors d’un voyage qu’elle fit à travers les plaines désolées, afin de lui donner l’illusion d’un paysage florissant. (VIII, 100)


Qualité des âmes
Les âmes les plus amicales se dirigeaient toujours davantage au voisinage de mes parties sexuelles (du ventre, etc.) où elles ne me faisaient aucun mal ou presque aucun, et n’étaient pas autrement importunes ; cependant que les âmes mal intentionnées se portaient toujours à la tête, dans le but d’y provoquer quelque dommage ; en particulier, elles se posaient de très détestable façon sur l’oreille gauche. (8, 116)


Dieu passe à l’anglais
Amongs the fossiles était d’ailleurs aussi une des expressions favorites de l’âme Flechsig pour dire « parmi les images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » ; par quoi se manifestait sa tendance à substituer aux expressions de la langue de fond désignant les choses surnaturelles, des locutions qui frisaient le ridicule par leur consonance moderniste. C’est ainsi qu’il affectait également de parler d’un « principe de télégraphie-lumière » pour désigner l’attraction mutuelle des rayons et des nerfs. (IX, note 58)


Le Système de prise de notes
Quant au « système de prise de notes », c’est une réalité de fait qui sera également extrêmement difficile à faire saisir à d’autres. Chaque jour m’apporte les preuves les plus accablantes de sa véracité, et pourtant ce système appartient à vrai dire, même pour moi, au domaine de l’inconcevable : en effet lorsqu’on est un tant soit peu au fait de la nature humaine, on se rend compte immédiatement que les buts que l’on se propose là sont a priori hors d’atteinte. Il s’agit là apparemment de renseignements rassemblés pour parer à un embarras éventuel ; il m’est difficile de distinguer si cela procède d’un désir de truquage (contraire à l’ordre de l’univers) ou s’il s’agit d’une démarche aberrante de la pensée. On tient à jour des livres ou autres écritures dans lesquels depuis des années déjà sont consignées toutes mes pensées, mes façons de parler, dans lesquels sont recensés tous mes objets usuels, toutes les choses qui se trouvent ordinairement en ma possession ou autour de moi, ainsi que toutes mes relations, etc. Je ne peux même pas dire avec certitude qui prend ces notes. Dans l’impossibilité où je suis de me représenter la toute-puissance de Dieu comme dépourvue de toute intelligence, je suis amené à supposer que cet enregistrement est assuré par des êtres siégeant sur des corps célestes éloignés, auxquels, à l’instar des « bonshommes bâclés à la six-quatre-deux » certes il a été donné une apparence humaine, mais qui pour leur part sont totalement déshabités par l’esprit ; les rayons qui passent par là leur forcent pour ainsi dire la plume dans la main, pour cet office de prise de notes qu’ils assurent tout mécaniquement, en sorte que d’autres rayons arrivant ultérieurement puissent à leur tour consulter ce qui a été pris en note. (IX, 127)


L'Epuisement de la pensée nouvelle
On avait cru pouvoir épuiser avec le système de prise de notes mon potentiel de pensées – un moment arriverait, croyait-on, où je ne pourrais plus produire une seule pensée nouvelle ; vision des choses évidemment complètement absurde, tant il est vrai que la pensée humaine jamais ne s’épuise ; sans arrêt sont suscitées de nouvelles pensées qu’apporte la simple lecture d’un livre, d’un journal. Le stratagème, donc, était le suivant ; dès que se manifestait en moi une pensée que j’avais déjà eue avant – pensée qui par conséquent avait déjà fait l’objet de notes prises (et un tel retour n’était-il pas inévitable pour nombre de pensées) ainsi de la pensée « maintenant je vais me laver », quand c’était le matin, ou « voilà un beau passage » quand on jouait du piano) – dès qu’on décelait donc en germe ce genre de pensées, les rayons susceptibles d’être attirés à proximité de ma personne étaient munis, en guise de viatique, d’un « nous avons déjà » (prononcé « zavons déjà »), sous-entendu : « noté cela », formule qui les immunisait, en quelque façon difficile à élucider, contre la force d’attraction de la pensée en quesion.(IX, 132)


Textes : Daniel Paul Schreber
Image : Scott Batty

2007/12/26

"JE FERAI UN POEME DE PUR NEANT"

Guillaume d'Aquitaine



Je ferai un poème de pur néant
Il ne sera ni de moi ni d’autres gens
Il ne sera ni d’amour ni de jeunesse
Ni de rien d’autre
Je l’ai composé en dormant
Sur un cheval

Je ne sais quelle heure je suis né
Je ne suis ni joyeux ni triste
Ni sauvage ni familier
Je ne sais pas être autrement
Doué la nuit par une fée
Sur un mont haut

Je ne sais quand je suis endormi
Ni quand je veille si on ne me le dit
À peu m’est le cœur parti
D’un deuil au cœur
Tout ça ne vaut pas une fourmi
Par saint Martial

Je suis malade je vais mourir
Je n’en sais que ce que j’entends dire
Je cherche un médecin à ma fantaisie
Je ne sais lequel
Il sera bon s’il me guérit
Mauvais si je meurs

J’ai une amie je ne sais laquelle
Car je ne l’ai jamais vue
Elle n’a rien qui me plaise rien qui me pèse
Et ça m’est égal
Je n’ai ni Normand ni Français
Dans ma maison

Sans l’avoir vue je l’aime fort
Elle ne m’a rien donné, elle ne m’a fait aucun tort
Si je ne la vois pas ça va bien
Tout ça ne vaut pas un coq
J’en connais une plus noble et belle
Et qui vaut mieux qu’elle

Je ne sais pas où elle vit
Si c’est en montagne ou en plaine
Je n’ose dire comme elle me blesse
Aussi je me tais
Je suis triste si elle reste ici
Quand je m’en vais

J’ai fait ce « vers » de je ne sais quoi
Et je le transmettrai à quelqu’un
Qui le transmettra à un autre
Jusqu’à Poitiers
Pour qu’il m’envoie de son étui
La contre-clé


Texte : Guillaume d'Aquitaine
Image : droits réservés (par TF1 ?)