2009/12/24

L'ESPRIT DE NOËL

Michel Sirota

C’est le 24 Décembre 1995 que, pour la première fois, j’entrais dans le cabinet du docteur ***.

J’attendis près d’une demi-heure dans la bibliothèque de celui-ci, qu’il avait transformé en antichambre, placée entre le couloir d’entrée et son bureau. Autour de moi s’agitait une douzaine de personnes dans un état des plus lamentables. L’un d’entre eux répétait continuellement une mélodie des années cinquante alors qu’un autre tentait de marchander un paquet de cigarettes avec un troisième pour la somme ridicule de un franc. Au centre, un homme tentait de se concentrer dans une position du yoga que je connaissais sous le nom du « Tracé de l’Antilope ». Je demandai à une femme de cinquante ans à l’air taciturne assise à mes côtés ce que faisaient tous ces gens, et celle-ci me répondit simplement : « Ils sont en cure avec le docteur *** ». Je demandai ensuite s’ils avaient tous rendez-vous avant moi car, dans ce cas, je pouvais aller boire un café dans un troquet des alentours.

« Pas forcément, me répondit-elle. La consultation peut arriver en fin de journée comme elle peut arriver maintenant. Ici, c’est comme dans la maison de Dieu : on ne sait jamais quand le docteur va nous recevoir ». Au ton de cette dame, je compris que je la dérangeais. Je n’insistai pas. De toutes manières, mon attente fut bientôt comblée puisque, moins de vingt minutes plus tard, le docteur *** me fit entrer dans son bureau.

Le docteur *** était encore un bel homme, bien qu’il fut déjà âgé. Cependant, sa gestuelle exagérée me semblait grotesque et, d’un regard, je le lui fis comprendre. Cela ne semblait pas lui plaire, et le ton de sa voix se fit immédiatement beaucoup plus froid, avec une sorte de menace contenue à mon endroit, car je n’avais pas voulu me distraire de ses grotesques simagrées. De même, je n’appréciais pas qu’il compulse d’étranges statuettes égyptiennes pendant que je lui expliquais mon problème, ou qu’il s’amusât à dessiner des chiffres, de façon semble-t-il aléatoire, sur le papier. Je le lui fis savoir, mais cela ne changea pas son comportement. Au contraire, il me semblait qu’il en rajoutait, dans l’espoir de me voir à nouveau m’énerver et me mettre hors de moi. Au bout d’un quart d’heure, je remarquai une étrange masse de poils et de chair qui dérangeait le balancement de mon pied droit. Je baissai les yeux : cela avait tous les traits d’une queue de singe, sauf que celle-ci était une centaine de fois plus large que la normale. Quand je levais mon regard, derrière le docteur ***, se tenait un chimpanzé de quinze kilomètres de diamètre. Il occupait la presque totalité du quartier, et sa queue terminait de tomber juste en dessous de mon pied droit, de manière à en perturber ostensiblement le balancement.

Je demandai au docteur *** de s’expliquer sur cet événement peu banal, mais il me renvoya inlassablement toutes mes questions, me poussant ainsi à devoir y répondre par moi-même. Il me semblait pourtant que la raison d’une telle incongruité ne résidait aucunement dans un complexe d’enfance ou une particularité étrange de mon cerveau. Mais cependant que je lui demandais « Que fait ce singe de quinze kilomètres de diamètre derrière vous ? », il me répondait, avec un ton à chaque fois plus monocorde et une voix plus métallique : « Je ne sais pas. À votre avis, que fait-il là ? ».

Je compris dès lors que je ne désirais commencer nulle analyse avec le docteur ***. Ses manières était trop brutales pour m’inspirer une confiance suffisante à pratiquer l’introspection escomptée. Cependant, la présence inhabituelle du singe me poussa à accepter de feindre d’entreprendre celle-ci. En réalité, l’analyse était un subterfuge à l’enquête que je mènerais pour comprendre l’origine de ce chimpanzé ainsi que les déterminations profondes de ce dernier.

Une fois sorti du cabinet du docteur ***, je fis le tour du quartier et ne retrouvai nulle trace du singe en question. Je remontai alors les cinq étages de son immeuble, et, malgré les menaces de sa secrétaire, entrai violemment dans le bureau du docteur ***, le dérangeant pendant une analyse, ou plutôt pendant une de ses indénombrables séances de tripotage de statues et de notation de chiffres. Le docteur *** fut particulièrement mécontent de cette interruption et j’eus beau faire mention du chimpanzé, il me fit reconduire en me rappelant la date de notre prochaine séance. Alors que la secrétaire me prenait par le bras et m’indiquait la direction de la sortie, je jetai un coup d’œil rapide au bureau du docteur ***. Il n’y avait plus aucune trace du grand singe que j’avais pourtant clairement vu quelques minutes auparavant.

Il faisait alors très froid dans les rues de Paris. Je fus plusieurs fois menacé de projectiles confectionnés à base de neige par des enfants aux intentions malignes. Ils faisaient sans cesse mention du « Petit Papa Noël » qui viendrait pendant la nuit – entrant par infraction dans leur foyer par le biais incongru de la cheminée – déposer quelques cadeaux qu’il leur devait pour quelque obscure raison. Cette partie de mon récit en ayant amusé plus d’un, je me vois toujours obligé de préciser que je ne vivais alors en France que depuis quelques mois, et qu’un certain nombre de coutumes locales m’étaient et me sont toujours peu claires. Pour prendre un autre exemple, une phrase comme « C’est le pied » utilisée dans un contexte qui en aucun cas ne justifie la mention de cette partie non négligeable de l’anatomie humaine me fait invariablement me poser en moi-même la question « Mais qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de pieds ? »

Mais retournons à mon récit. Ce jour même, encore troublé par la présence du chimpanzé ainsi que des mauvaise manières du docteur ***, j’allais à la bibliothèque m’informer sur la question des singes. La bibliothécaire à laquelle je m’adressais, et qui portait le nom de Hélène S., répondit à mes requêtes avec hauteur, cependant qu’autour d’elles nombre de gens, et parmi eux des enfants en bas âge, continuaient de faire référence au « Petit Papa Noël » dont j’avais déjà entendu le nom et les caractéristiques peu amènes lors du combat de neige dans la matinée. J’insistai mais cette Mme S., dont le ton dénotait un rare cas d’hystérie pathologique, ne semblait pas prendre ma requête au sérieux, et me dirigeait vers la collection d’ouvrages humoristiques. C’est dans cette partie excentrée de la bibliothèque que je rencontrais un individu particulièrement louche qui, sous l’excuse d’agir lui aussi pour le compte de ce « Petit Papa Noël » m’offrit quelques uns de ses cachets, de couleur rose, qu’il avalait compulsivement et que, pour ne pas le vexer, j’acceptais.

Je vis alors l’homme en question se diviser en deux hommes de petite taille, puis quatre. Et les quatre hommes entamèrent ce qui ressemblait étrangement à une danse de Saint-Guy. Je hurlais pour qu’il s’arrête. C’est alors que Mme S., accompagnée de deux de ses collègues, dont l’un des deux était un grand gaillard vigoureusement bâti, me fit mettre à la porte. Pendant ce temps, les quatre émanations de l’homme de tout à l’heure continuaient à chanter et à danser au premier plan de chaque endroit où mon regard se posait.

Je croyais que les ennuis étaient pour moi maintenant terminés, et que je pouvais tranquillement m’asseoir sur un banc pour voir le reste de la journée se fondre dans la douceur de la nuit. Mais non ! À peine m’étais-je assoupi sur le banc de bois vert, au cœur d’un square qui faisait face à la bibliothèque que je venais de quitter, qu’un nouveau projectile de neige frôla mon visage. Ouvrant à nouveau les yeux, je vis près de huit enfants, chacun possédant une anomalie physique des plus singulières, qui me regardaient d’un air moins menaçant qu’amusé par la crainte que j’éprouvais à leur endroit. Que pouvais-je faire d’autre que leur demander de me laisser en paix ? Mais ce ne semblait pas être le projet de ces chenapans. Et pour accentuer ma crainte, ils me présentèrent une dinde à deux têtes – dinde qui devait être, sans nul doute, l’animal familier de l’un d’entre eux.

Approchant mieux mon regard des corps des enfants, je remarquai des runes inscrites aux endroits où la maladie avait atteint leur corps, gravant un message que moi seul pouvait comprendre. J’avais appris les langues et les littératures germaniques et je pouvais lire, en vieux norre, la sentence suivante : ET TU NE TE REPOSERAS JAMAIS DE MOI. Un des enfants me présenta alors à nouveau la dinde à deux têtes qui hurla et commença à chanter un air sinistre. Je pris mon courage à deux mains et me frayai un passage de force entre les enfants, quittai le parc et décidai de ne plus jamais y mettre les pieds. Un dernier projectile confectionné à base de neige atteint mon oreille gauche alors que je refermai la petite porte de métal verte du square.

Je continuai à errer sans but dans les rues de Paris où les habitants s’adonnaient à des pratiques de fête. Je me perdais dans la foule dans l’espoir d’oublier jusqu’à mon nom, mon visage, ma vie. Alors, je ne pouvais jurer de la nature de ce que j’ai vu ou vécu, mais j’avais compris que tout cela d’une certaine manière était lié à cet homme qu’ils appelaient « Petit Papa Noël » et de ce qu’il était capable de faire. Et cela dépassait de loin ce que mon esprit était susceptible de supporter sans sombrer.


2009/12/18

DES MORCEAUX D'HOMME

Le Dispositif au Palais de Tokyo les 18, 19 et 20 Décembre 2009 - Thomas Bertay et Pacôme Thiellement

Le Dispositif est un programme vidéo d’'orientation, d’'explicitation et de conditionnement destiné aux individus appelés à diriger le peuple des hommes reconstitués.

Ce programme est, à ce jour, composé de quarante-quatre modules dont les thèmes vont de Norbert Wiener et la tradition primordiale à Raymond Abellio et l'ésotérique de la télévision, en passant par Michael Jackson et la survivance, Martin Heidegger et l’'hypothèse extraterrestre, l’'Ayatollah Khomeiny et la naissance de la cybernétique, Bernard Kouchner et le 11 Septembre comme symposium sur les protocoles dun envoûtement collectif et David Lynch et le mythe de la parole perdue.

Partant du principe que toute information est pollution, les mises en perspective opérés par Le Dispositif procurent à ses candidats une défense immunitaire pour affronter les vagues successives de chaos et de dislocation à venir.


Vendredi 18 Décembre 2009 à 19h30 : Des Morceaux d’Homme

Un choix de modules récents concernant la première mort et la seconde mort.

Durée : 1 heure 15


Samedi 19 et Dimanche 20 Décembre 2009 de 14h à Minuit : Le Dispositif Intégrale

L’intégralité des modules réalisés à ce jour sera présentée publiquement pour la première fois.

Durée de la totalité des épisodes : 4 heures.


Réalisation : Thomas Bertay et Pacôme Thiellement

Production : Sycomore Films - 8 rue des Apennins 75017 Paris

http://www.sycomorefilms.com/


Palais de Tokyo - 13 avenue du Président Wilson 75016 Paris

http://www.palaisdetokyo.com/

info@palaisdetokyo.com


Voir quelques modules en ligne :

Le Dispositif 22 - Le Mat

http://www.dailymotion.com/video/x7bu5m_le-dispositif-022_creation

Le Dispositif 26 - Extrême Hémisphère Droit

http://www.dailymotion.com/video/x6345l_le-dispositif-026_creation

Le Dispositif 33 - La Prophétie du Grand Monarque

http://www.dailymotion.com/video/x63cki_le-dispositif-033_creation

http://www.youtube.com/watch?v=Xvj66Y4or8U

Le Dispositif 39 - L'Ordre du Soleil Rouge

http://www.dailymotion.com/video/x78wgx_le-dispositif-039_creation

http://www.youtube.com/watch?v=wTMF8wBVACY&feature=related

2009/12/16

TOUT EST UNE LOUVE PAUMÉE

Texte publié dans le magazine Standard





L’Italie, c’est l’Enfer. Rome, en politisant l’hypothèse christique, a entraîné l’humanité dans une spirale de mort. Le Zohar le dit : « Le saint, béni soit-il, enverra l’ange exterminateur qui détruira la ville de Rome pour toujours. » Mais le Paradis est caché dans l’Enfer comme le fruit dans l’amande. C’est Sienne : lumière de l’aube au milieu des écorces toscanes éparses. Sur la Porta Camollia, le voyageur matinal peut lire : « Bien plus que sa porte, Sienne t’ouvre son cœur. » Le Bon Gouvernement qui dirigea entre les XIIIe et XIVe siècles la République de Sienne fut l’épiphanie provisoire du Jardin d’Eden. On y dansait dans les rues et seule la peste noire faisait peur aux habitants. Sienne, c’est la drogue parfaite : L’Histoire étant une branche de la littérature fantastique, je connecte mon cerveau droit sur les hallucinations audiovisuelles produites par son rouge électrique ; et la Piazza del Campo incurve l’espace comme une coquille d’escargot cosmique. C’est le Mangia qui garde Sienne, un gras automate barbu qui sonnait leur cloche et protégeait leurs œuvres : celles de Duccio, Simone Martini et Ambrogio Lorenzetti, trois créateurs d’une rare bonté. Lorenzetti fait danser la cité sur les murs du Palais Public : « Les fresques chantent, vibrent, pleurent et s'apaisent et s'enflent comme un chœur de violoncelles. » (Élie Faure) Sur une des fresques de Martini, le condottiere Guidoriccio siège sur un cheval qui fait furieusement penser à un escargot déguisé. Quant à Duccio, sa Maesta au visage androgyne était portée dans la ville, de son atelier jusqu’au Dôme, par l’ensemble des habitants le 9 juin 1310. « On n’a jamais vu qu’une fois, écrit Suarès, tout un peuple se lever, un jour de printemps, pour faire escorte à une œuvre d’art et marcher comme un seul homme derrière une peinture. » Si la Fontaine de Joie est un chef d’œuvre d’air et d’eau, Notre-Dame-de-l’Assomption est un vertige de marbre. L’après-midi est orageuse ; une jeune brésilienne m’aide à retrouver le carré magique inscrit à l’extrême-gauche de la cathédrale : SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Malgré la barbarie d’un monde soumis à un dieu fou et aveugle, les quartiers de Sienne sont au nombre de 17, l’Arcane Stellaire, comme si le Ciel lui-même avait chut dans la cité pour se faire pardonner sa violence. La nuit tombe. Le monde est une louve paumée. Tous les hommes sont les fils d’une louve ivre dont les mamelles suintent l’alcool à 90°. Tout est une louve paumée. 

2009/12/06

HELP ME SHANKARA !

Adi Shankarâchârya

« Un disciple qui a suivi attentivement l’exposition de la nature de Brahma doit être amené à penser qu’il connaît parfaitement Brahma ; mais, malgré les raisons apparentes qu’il peut avoir de penser ainsi, ce n’en est pas moins une opinion erronée. En effet, la signification bien établie de tous les textes concernant le Vêdânta est que le « Soi » de tout être qui possède la Connaissance est identique à Brahma. Or, de toute chose qui est susceptible de devenir un objet de connaissance, une connaissance distincte et définie est possible ; mais il n’en est pas ainsi de Ce qui ne peut devenir un tel objet. Cela est Brahma car Il est le Connaisseur et le Connaisseur peut connaître les autres choses, mais non Se faire Lui-même l’objet de Sa propre Connaissance, de la même façon que le feu peut brûler d’autres choses, mais non se brûler lui-même. D’autre part, il ne peut pas être dit non plus que Brahma puisse être un objet de connaissance pour un autre que Lui-même, car, en dehors de Lui, il n’est rien qui soit connaissant. »

2009/12/05

ISIS

Bob Dylan et Jacques Lévy


J’épousai Isis le cinquième jour de Mai

Mais je ne pouvais pas rester auprès d’elle très longtemps

Alors je coupai mes cheveux et chevauchai sans délai

Pour une contrée sauvage et inconnue où je ne pourrais pas me tromper


J’arrivai dans un haut lieu de ténèbres et de lumière.

La ligne de séparation courait à travers le centre de la ville.

J’attachai mon poney à un piquet sur la droite.

J’entrai dans une laverie pour nettoyer mes habits.


Un homme posté à un coin m’approcha et me demanda une allumette.

Je devinai immédiatement qu’il n’était pas ordinaire.

Il dit : « Es-tu à la recherche de quelque chose de facile à attraper ? »

Je dis : « Je n’ai pas d’argent » ; il dit : « Ce n’est pas nécessaire. »


Nous nous mîmes en route pour le Nord glacial.

Je lui donnai ma couverture, il me donna sa parole.

Je dis : « Où allons-nous ? » ; il dit que nous serions rentrés le quatre.

Je dis : « C’est la meilleure nouvelle que j’ai jamais entendue. »


Je pensai à la turquoise, je pensai à l’or.

Je pensai à des diamants et au plus grand collier du monde.

Alors que nous chevauchions à travers les canyons et le froid démoniaque,

Je pensai à Isis : elle me trouvait tellement imprudent !


Elle me dit un jour que nous nous retrouverions,

Et les choses seraient différentes la prochaine fois que nous nous marierons,

Si je pouvais seulement tenir et être son ami…

Et je ne me souviens toujours pas des meilleures choses qu’elle m’ait dit.


Nous arrivions aux pyramides encastrées dans la givre.

Il dit : « Il y a un corps que j’essaie de trouver.

« Si j’arrive à le ramener, il nous sera d’un bon prix »

C’est alors que je compris ce qu’il avait vraiment en tête.


Le vent hurlait et la neige était outrageante.

Nous creusâmes toute la nuit et nous creusâmes toute la matinée.

Quand il mourut, j’espérai que ce ne serait pas contagieux

Mais j’avais déjà fait mon choix et je devais continuer.


Je pénétrai la tombe mais le cercueil était vide.

Pas de pierres précieuses, rien ! Je me sentis refait.

Je compris que mon partenaire avait seulement l’air amical…

Quand j’avais répondu à son offre, je devais être dingue !


Je pris son corps et le portai à l’intérieur.

Je le jetai dans le trou et refermai le cercueil.

Je dis une prière rapide et me sentis satisfait,

Puis je galopai à nouveau pour retrouver Isis et lui dire que je l’aimais.


Elle était dans le pré où la crique s’élevait.

Aveuglé par le sommeil et ayant besoin d’un bon lit,

Je venais de l’Est avec le soleil dans les yeux.

Je la maudis une fois puis chevauchai à nouveau.


Elle dit : « Où as-tu été ? » ; je dis : « Nulle part en particulier. »

Elle dit : « Tu as l’air changé. » ; je dis : « J’imagine bien. »

Elle dit : « Tu étais loin. » ; je dis : « C’est bien normal. »

Elle dit : « Est-ce que tu restes, cette fois ? » ; je dis : « Si tu veux bien, oui. »


Isis, oh Isis, enfant mystique

Ce qui me ramène à toi est ce qui me rend fou

Je me souviens encore la façon dont tu souriais

Au cinquième jour de Mai, sous la pluie battante.

Texte : Bob Dylan et Jacques Lévy

2009/11/19

MAYAVADA

Pacôme Thiellement


All our lives we love illusion,

Neatly caught between confusion

And the need to know we are alive.

The Residents



Un gras hindou en turban bleu m’accoste et me demande, avec un sourire moqueur, si je parle anglais. C’est en 1992, sur le pont de Genève, je porte une cravate violette et j’ai 17 ans.

- Yes I do speak english, sir. Why ?

- Lucky boy, you will live old ! 89 years old ! No accident, no heart attack, no tragedies, love and marriage.

- What do you want ?

- Very hard town ! dit-il en me frappant sur le front : Very hard town in here ! Never a rest !

Puis sa main descend jusqu’à la mienne et dépose deux bijoux noir et bleu :

- It will give you power. Will power.

- I don’t want power !

- I’m a yogi, dit-il et il sort une photo noir et blanc un peu jaunie où il apparaît en compagnie de six autres indiens en smoking. See : we’re all yogi. You know about yogi ?

Puis il écrit un mot sur un morceau de papier qu’il froisse et met dans ma main en compagnie des deux bijoux.

- Tell me your good number et your favorite flower.

- I don’t know… Seven… The rose… Why ?

Il ouvre ma main et défroisse son morceau de papier sur lequel est inscrit « 7 » et « Rose ». Mon manque d’originalité me perdra.

- I gotta go to Zurich, ajoute-t-il. I need 30 Swiss Francs to buy a ticket.

- I can’t give you that.

- Yes you can. And it will give you power in return.

- No… No…

- Come on. It’s only 30 francs. You can give that to me.

- No I can’t. I need them for my own ticket.

Le regard du Yogi change. Il se détend et me dit :

- You WILL give the 30 francs to me later anyway. You’ll see.

- Well, yogi, that’s good. But let me try a last experiment : What am I thinking right now ?

- That’s too easy, répond-t-il en éclatant de rire. You’re thinking about the girl you’re about to rejoin !

Il me donne trois coups sur l’épaule et repart. J’arrive à la gare de Cornavin et prends un billet pour Lausanne, pour aller dîner avec une femme nommée A***. Le billet coûte 19, 60 FS et je donne à la jeune caissière un billet de cinquante francs suisses. Sans me regarder, celle-ci prend l’argent et, dans un geste automatique, me rends deux pièces de vingt centimes. Inutile de raconter que j’insisterai en vain pour récupérer la somme due, qu’elle refusera absolument de me croire et me soupçonnera de vouloir la voler, qu’un loubard tout en cuir et très efféminé qui suivait la scène se mettra à me défendre face à la jeune caissière butée, que je repartirai du guichet alors que les insultes fuseront entre elle et lui qui menacera d’en venir aux mains pour me défendre, inutile d’ajouter que je tremblerai tout le long du trajet vers Lausanne mais que je ferai pleurer de rire A*** en lui racontant tout l’épisode par le menu, inutile de détailler tout cela vraiment et jusqu’au fait que nous jetterons dans ses WC les deux bijoux noir et bleu dans un geste expiatoire chargé d’électricité épique et burlesque, puisque tout le monde a compris que le Yogi a symboliquement récupéré la somme qu’il estimait que je lui devais aussi facilement que le Royaume de France annexe le duché d’Orléans et que c’est bien là l’alpha et l’oméga d’une telle histoire.


2009/11/18

TURKESTAN LADYS / SHIRAZIK HYSTERIA

Trois extraits du poète Rûzbehân Baqlî Shîrâzî, "soufi des outrances" (1128/1209)

«Ce soufi ignorait encore que ce fût de la chambre du secret le plus personnel de sa réalité humaine propre, que viendraient à sortir, couverts des draperies de l’amphibolie, les êtres de beauté en qui se personnalisent les Attributs divins. Il lui fallait risquer la tête hors du manteau de la méditation, il fallait que les yeux de l’âme aient mis à leur service ses yeux de chair. Dans le monde des figures visibles, il guettait la qualification qui serait le signal de l’Aimée. Soudain, voici que de la ruelle où l’Opération divine ouvre sa taverne mystique, cette jouvencelle du couvent de la Toute-Puissance est sortie couverte du grand voile de sa chaste retenue ; elle s’est alors dévoilée au regard de l’âme qui la voyait sans la voir, puisque la voyant par l’organe de l’imagination active... N’est-elle pas la sage-femme qui aida à le mettre au monde, la mère de ce Terrestre, de ce soufi qui, à la trace des théophanismes, fit irruption en la ruelle où se dévoile la Toute-Puissance ?... Et soudain, répétant la locution prophétique mohamadienne, lui aussi dit à son tour : J’ai vu mon Dieu sous la plus belle des formes.»

«Une nuit, je contemplais le Lieu du Mystère. Il y avait des sortes de ruisseaux vides. Soudain Dieu me prit et m’égorgea. Une grande quantité de sang s’écoulait de mon cou ; bientôt tous les ruisseaux en furent remplis. Mais voici que mon sang prenait l’aspect de rayons du soleil au moment de l’aurore, quand il apparaît plus vaste que les régions des Cieux et de la Terre. Et des multitudes d’Anges prenaient de mon sang et en fardaient leur visage.»

«Une autre nuit, je contemplai Dieu au-dessus du Trône, dans les chambres nuptiales de l’intimité, se manifestant avec les attributs de la Beauté et de la Majesté. Il n’y avait personne devant lui hormis Gabriel versant des larmes et qui soudain déchira ses vêtements, sous la violence de son délire d’amour en présence de la Beauté divine... Un temps passa... Je vis des rochers sur lesquels coulait un grand fleuve pareil à un fleuve de perles. Je vis Khezr et Elie avec tous les Abdâl, lavant leurs vêtements dans le fleuve, et jamais je n’avais vu de spectacle plus enchanteur que leur vue à ce moment-là.»


Texte : Rûzbêhan Bâqlî Shîrazî, extraits du Jasmin des Fidèles d'Amour et du Dévoilement des Secrets
Images : Le Coran parlant

2009/07/18

(UN) CRIMINEL SUAVE


ICI-BAS estime ne pas avoir salué le départ de Mikhaeel Jackson pour l’Ethernité avec la juste mesure & synchroniquement avec la presse (mais certes, nous détestons ça). Ayant publié il y a quelques années une traduction de la très mystérieuse « Billie Jean », nous complétons la dyade énigmatique en proposant « (Un) Criminel Suave ». A notre humble avis, « (Un) Criminel Suave » est un des sommets de la poétique jacksonienne. Et cette bouffonne francisation circonstanciée ne donne évidemment nulle mesure rythmique ou syntaxique de ce sommet mais se contente d’un aperçu sur l’au-delà de toute rédemption psychique. Et allez-y voir vous-même si vous ne voulez croire l’Arkhange.

Quand il passa la fenêtre

Un son allait crescendo

Il pénétra son appartement

Laissa sur le tapis des traces de sang

Elle courut sous la table

Il contempla son impuissance

Alors elle courut dans la chambre

Il la terrassa

Accomplissant son destin

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Vas-tu nous dire que tu es OK

Il y a un signe sur la fenêtre

Qu’il te terrassa

Un crescendo Annie

Il pénétra ton appartement

Laissa sur le tapis des traces de sang

Puis tu courus dans la chambre

Il te terrassa

Ton destin

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Tu as été frappée

Tu as été frappée par (un) Criminel Suave

Alors ils sortirent vers le dehors dégagé

C’était Dimanche un jour noir

Bouche à Bouche Rhésus Citation

Battements de Cœur Intimidations

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Annie es-tu OK

Vas-tu nous dire que tu es OK

Il y a un signe sur la fenêtre

Qu’il te terrassa

Un crescendo Annie

Il pénétra ton appartement

Laissa sur le tapis des traces de sang

Puis tu courus dans la chambre

Il te terrassa

Ton destin

Annie es-tu OK

Annie es-tu OK

Es-tu OK Annie

Tu as été frappée

Tu as été frappée par (un) Criminel Suave

OK je veux que tout le monde dégage du secteur immédiatement

Aoh

Annie es-tu OK

Je ne sais pas

Vas-tu nous dire que tu es OK

Je ne sais pas

Il y a un signe sur la fenêtre

Je ne sais pas

Qu’il te terrassa

Un crescendo Annie

Je ne sais pas

Il pénétra ton appartement

Je ne sais pas

Laissa sur le tapis des traces de sang

Je ne sais pas pourquoi bébé

Puis tu courus dans la chambre

Je ne sais pas

Il te terrassa

Ton destin Annie

Annie es-tu OK

Père Impuissant Bébé

Vas-tu nous dire que tu es OK

Père Impuissant Bébé

Il y a un signe sur la fenêtre

Père Impuissant Bébé

Qu’il te terrassa

Un crescendo Annie

Hou Hou

Il pénétra ton appartement

Père Impuissant

Laissa sur le tapis des traces de sang

Hou Hou Hou

Puis tu courus dans la chambre

Père Impuissant

Il te terrassa

Ton Destin Annie

Aoh