SUZY M'AIME
C’est à cette époque que la petite femme put ressurgir, elle qu’on avait enterrée depuis une bonne dizaine d’années dans son enclos de Neuilly-sur-Seine. Elle était viscéralement faite pour tirer profit de cette situation. Dans le bus qui me ramenait d’un vernissage dans le vingtième, des flics en civil contrôlèrent nos billets et un gros vieillard à casquette tenta de fuir. Les gardiens de la paix armée se mirent à quatre pour le finir à coups de tatane. Le bus s’échauffa et quelques noirs pauvres et pacifiques se proposèrent de payer le foutu billet. Ils furent renvoyés du bus avec force violence, comme le reste d’entre nous, par les cris et les menaces des agents de la sécurité, toutes armes dehors.
Ce n’était pas un rêve, cette fois, même si ça avait le même goût.
« C’est un vieillard », dis-je en tremblant à l’émissaire de la petite femme qui le serrait à la gorge.
« Descendez, monsieur, laissez-nous faire notre travail et il ne vous arrivera rien » me dit un autre robot aux cheveux gras en me raccompagnant avec fermeté vers les autres.
Seule la femme du prévenu, toute en noir avec une tête de petite pomme ridée, restait impassible et se contenta de ramasser son espadrille. Alors que le bus de nuit, transformé en salle d’interrogatoire, continuait sa route vers nulle part, nous ayant lâché comme des merdes à Barbès-Rochechouart, une étrange vieille taupe à lunettes, squelettique, allusive, qui caressait la fille d’une africaine, tenta de nous raccommoder avec la police avec des mots de miel. Mais c’était en vain. La petite femme qui contrôlait la police et ses menaces en langage clair étaient désormais sur toutes nos lèvres.
« C’est Suzy, dirent quelques noirs avec une lueur magique dans l’œil, c’est elle, c’est ce qu’elle nous prépare. »
Nous n’avions pas peur, nous n’avions pas mal, nous étions juste assez chinois pour n’avoir pas envie de pénétrer ce nouveau monde qu’on nous offrait sur un plateau d’argent. Mais avions-nous jamais eu le choix ? Ou, depuis longtemps, notre liberté s’arrêtait au commentaire de la situation et à la farce ?
Texte : Pacôme Thiellement
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